Octobre 2017, festival Circa, Auch (32)
Gaël Santisteva -artiste de cirque, danseur, comédien et metteur en scène (et si mes souvenirs sont bons, joueur de saxo aussi, au moins dans sa jeunesse)- nous propose un ovni artistique, un objet difficilement identifiable : « Talk show ». Entre la conférence et la performance, le reportage radiophonique visuel (si, si, c’est possible !), la séance de psychanalyse et le débat improvisé, on ne sait pas trop comment qualifier cet étrange spectacle mais là n’est pas l’essentiel car il est tout à fait possible de pénétrer un univers, sans être capable de le nommer.
« Talk show », c’est avant tout une histoire de corps. L’histoire des corps des circassiens, des circassiennes. Et pour parler de ce thème délicat s’il en est, Gaël Santisteva a invité auprès de lui quatre autres artistes de cirque : Angéla Laurier, Ali Thabet, Julien Fournier et Melissa Von Vépy, qui ont tous quarante ans et plus. Période de la vie souvent liée aux premiers bilans, premiers pépins de santé, premières désillusions. Ils parlent de tout cela, justement, et ils le font avec une sincérité et une légèreté aussi troublantes que désopilantes. Oh oui, j’ai ri. J’ai tellement ri. Et le plus jubilatoire dans cette histoire de rire libérateur, c’est que le metteur en scène, Gaël Santisteva, a su le faire venir « l’air de rien ». En effet, au tout début de cette « conférence performative », il y a cette tension palpable dans l’air, elle nous entoure. Les artistes sont là, devant nous, assis sur des chaises. Aucun décor. On les entend parler mais eux ne disent rien. On ne sait pas trop qui est qui et cette scène d’introduction dure un temps certain. On a presque peur, se disant que non, on n’a pas envie de voir un spectacle trop « prise de tête », trop « intello » … Et les choses se mettent en place. Le rythme, petit à petit, s’accélère ; la parole et la gestuelle se font plus drôles ; la scène des échauffements, par exemple, permet ce crescendo, cette montée en puissance ; les sensations du spectateur donnent l’impression d’aller de pair avec les sensations du « comédien-acteur », jusqu’à un climax d’une force incroyable : la fusion, ce moment rare où la scène et le public ne forment plus qu’un. Mais je n’en dis pas plus. La (les ?) dernière(s) partie(s) ne doit pas se raconter, elle doit se vivre.
Oui, je me suis plongée avec délice dans les affres intérieures et autres questionnements de ces circassiens. Est-ce parce que je les côtoie plus ou moins depuis de longues années ? je n’en sais rien. Et je n’en suis pas sûre. Peut-être que si ce spectacle m’a tant plu (et bouleversée aussi) c’est parce que, comme eux, j’ai eu quarante ans il y a quelques mois et que finalement, les questions qu’ils se posent, on se les pose tous (ou presque) à ce moment-là de la vie : celle du corps qui devient plus douloureux et plus lourd à porter, celle de la reconnaissance des gens qui nous entoure (eux vont parler des fans mais la différence est mince, finalement), la question des performances sexuelles (et celle plus taboue des sécrétions mais tellement liée à la vie ordinaire de tout un chacun !), la question de notre rapport à l’argent, de notre rapport à l’art, de notre besoin de créer pour exister et se sentir vivant.
Cet ovni artistique -véritable mise à nue sans fard- a l’éclat de la sincérité, la joliesse du temps qui passe, celui qui rend les gens plus beaux et plus vrais. Il donne à voir ce qui nous fait être au monde à travers l’unicité de chaque histoire. Unique et universel à la fois. Quelle prouesse !
(Talk show. Création et mise en scène: Gaël Santisteva. 2017)